Réclame !

Société Auguste Vestris

Assoc. 1901 reconnue d’intérêt général

 

 

HOMMAGE A DIEGO CARPITELLA

 

Avec Jean-Guillaume BART de l’Opéra, Noretta NORI (Rome)

et Carmen CUBILLO LOSADA (Madrid)

Soirée présentée par le Professeur F. Falcone (Rome)

CENTRE DE DANSE DU MARAIS

41 rue du Temple, 75004 Paris

13 avril 2019 à 20 heures

Entrée libre dans la limite des places disponibles. Contribution suggérée 12 euro.

Billetterie en ligne également possible à

https://www.helloasso.com/associations/societe-auguste-vestris/evenements/hommage-a-diego-carpitella

 

En hommage à Diego Carpitella (1924-1990), titulaire de la première Chaire d’éthnomusicologie en Italie, notre Grande Leçon présentera la filiation directe entre le petit allegro académique d’une part et ces danses anciennes nationales d’autre part, foisonnant de ces qualités de mouvement, de rythme, d’émotions et d’affects qui fascinaient jusqu’à récemment encore les chorégraphes des ballets classiques. Ainsi que l’a expliqué Jean-Guillaume Bart, « La notion de petit allegro ou danse terre à terre est un élément caractéristique et incontournable de la danse de forme classique, notamment au 19e siècle où elle connaît un développement sans fin. Or, elle puise son inspiration et ses influences dans les danses traditionnelles notamment en provenance d’Espagne et d’Italie, d’une profonde richesse et d’une surprenante virtuosité. »

 

Jean-Guillaume Bart est étoile et professeur à l’Opéra national de Paris. Interprète des grands rôles du répertoire, Chevalier des Arts et des Lettres, il réalise de nombreuses chorégraphies souvent à but pédagogique pour des jeunes dans lesquelles transparaît sa volonté de préserver le vocabulaire classique. Il monte également « Le Corsaire » à Ekaterinbourg, « La Belle au bois dormant » pour le Yacobson Ballet à Saint-Pétersbourg et l’Opéra de Rome, une recréation de « La Source » pour l’Opéra, ainsi que de nombreuses chorégraphies originales à l’international. Il est Champion de France (avec Olivia Wély) de danse historique en 2015, 2016 et 2017.

 

Carmen Cubillo Losada est spécialiste des danses anciennes espagnoles et de l’Escuela bolera, la danse classique espagnole du XVIIIème siècle. S’inscrivant contre la « Danse fusion », Mme Cubillo Losada a sillonné l’Espagne avec un spectacle intitulé El Duende de la Danza où un public nouveau et jeune découvrait la stupéfiante diversité et la valeur esthétique si singulière des danses régionales de leur pays.

 

Historienne, danseuse et chorégraphe, Noretta Nori qui a connu personnellement Diego Carpitella, nous présentera la tarantelle telle qu’elle a été dansée à Naples et sous trois formes : – sa forme populaire originale- en danse de salon au début du 19ème siècle et finalement – en danse théâtrale, intermède dans des opéras lyriques notamment. Soulignons que c’est par l’Italie que l’en-dehors est entrée en France au XVIème et XVIIème siècles avec les Commedianti. Sans quoi, pas de danse classique dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui.

Le Lac de tant de cygnes

Je radote (encore) un peu, je le dis à chaque fois mais : la seule vraie étoile du Lac des cygnes, c’est pour moi le corps de ballet.

Et là encore, en ce dimanche 3 mars, l’étoile chère à mon cœur n’a pas démérité.

 

Je dois avouer que l’histoire d’Odette et de Siegfried m’a toujours un peu laissée de marbre. Si le Siegfried de Noureev est l’un des (le) plus intéressants qui soit, si son Rothbart peut être passionnant, Odette et Odile ne me semblent pas tant intéressantes pour leur personnalité que pour les lignes et le jeu des lignes, que pour la gestuelle si étonnante et finalement peu classique. Mais c’est là, beauté plus que frisson.

Si donc l’histoire commune des protagonistes me laisse un peu froide, il me semble qu’on doit toute l’émotion du Lac au corps de ballet. Si on y retourne, encore et toujours, c’est pour lui : le corps de ballet.

Le Lac, après tout, est le Lac DES cygnes, non pas le Lac d’Odette.

 

Harmonie et respiration commune. Chaque cygne est un élément de ce grand corps. Une Odette en puissance, une Odette discrète qui brille, démultipliée, comme dans un éclat de cristal ou de miroir brisé. Ce qui est terriblement beau, dans le Lac, ce sont certes les dessins produits au sol par les cygnes, les lignes, les mouvements d’ensemble, les séparations et rassemblements – comme un tableau abstrait qui s’anime. Les canons de la lamentation de l’Acte IV sont l’apogée de cet art d’une géométrie mouvante. Noureev y a ajouté ces ports de bras penchés qui donnent aux cygnes un aspect de chœur antique. Je frissonne réellement quand elles se défont et s’assemblent en pas de cheval, le déroule du pied au sol sonne pour moi comme la lamentation intérieure et terrible qui surgit d’un arrêt de mort annoncé.

 

Pour cette fois, j’étais cependant assise aux premiers rangs, il m’a donc été donné de voir autre chose que les effets sublimes et hypnotiques de lignes qui se décomposent et se recomposent.

Chaque cygne a sa manière d’être cygne dans cet ensemble pourtant si harmonieux, régulier, ordonné. Une démonstration du rapport entre l’Un et le Multiple.

La pudique élégance de Fanny Gorse rayonne dans cet ensemble sans jamais porter ombrage aux autres cygnes. Tout est sobre, humble, délicat et ciselé chez cette danseuse : des doigts de dentelle dont chaque partie semble indépendante, des poignets qui portent une intention toute spirituelle, des bras qui sont de vraies ailes, des jambes qui y font écho. C’est encore un mystère pour moi de savoir comment un tel effacement, une telle humilité au service de l’œuvre, parviennent à produire un tel rayonnement.

Camille Bon offre un travail du haut du buste qui lui donne un aspect céleste, élevé, tout en esprit. La tenue de sa nuque est comme une offrande à la mort prochaine. Son visage est si naturel qu’on se demande dans quelle sphère, inaccessible au commun des mortels, plane la danseuse.

Charline Giezendanner a des accents et des accélérations personnelles qui rendent chaque pas plus intense et plus intelligent. Son rythme propre donne une nuance et une teinte musicales à chaque geste.

Je ne peux les nommer toutes (je ne les reconnais pas toutes) mais il faudrait un billet pour chacune d’elle.

 

Vraiment, s’il ne devait y avoir qu’une raison de voir et de revoir le Lac, ce serait pour le corps de ballet.

L’art de perdre

Il est très émouvant d’assister à l’éclosion artistique d’une danseuse ou d’un danseur. Émouvant aux larmes, pour ma part.

 

Il semble qu’entre une Dame aux camélias et un Lac des cygnes, Amandine Albisson ait trouvé la voie qui sera peut-être la sienne. Sa Dame fut marquée par un abandon tout nouveau dont elle sembla comme elle-même surprise. Le pas de deux de la campagne, si épuisant, lui permit de lâcher, de gommer, de perdre tout ce qui l’embarrassait un peu avant : l’idée, peut-être, qu’elle se faisait, de l’extérieur, de ce que doit être une danseuse ? Dans la Dame tout cela, cette « couche » superficielle qui parfois recouvrait ses mouvements, est tombée comme un vêtement qui aurait contraint ses gestes : elle s’y retrouva nue, certes, mais vivante.

 

J’espérais secrètement qu’elle aurait gardé cette chose perdue dans son Cygne. Et je crois que cette perte est en effet acquise.

Dans la dernière reprise du Lac, on sentait (ce n’est pas une méchanceté, on sait ce que ce rôle peut avoir de difficile, ou plutôt, on ne le sait pas…) qu’elle cherchait à coller à l’image mentale et esthétique du Cygne. Le Cygne lui restait donc extérieur.

Cette fois, son Cygne vient de l’intérieur. On sent bien que Mademoiselle Albisson ne cherche plus à ressembler au Cygne, mais cherche à l’habiter. C’est fou la différence qu’il y a entre un mouvement qui vient de l’extérieur du corps et celui qui vient de l’intérieur. Puisque Amandine Albisson s’est débarrassé du vêtement qui masquait son corps admirable et qui empêchait son mouvement de prendre sa source de l’intérieur, son Cygne est devenu un vrai Cygne (et non une image extérieure de cygne).

Certes, ce n’est pas la spiritualité céleste d’une Myriam Ould-Braham, ni la pudeur d’une Laura Hecquet, certes, c’est un cygne déjà un peu autoritaire, ou tout au moins décidé – un cygne très peu victime, un cygne qui affronte son destin – mais une vraie Odette.

Son partenaire semble attendre un train ou son tour chez le boucher, se demander pourquoi on l’a distribué là. J’avoue qu’il m’a semblé qu’il en faisait le moins possible. Il sourit parce qu’il faut bien sourire, n’est en rien tourmenté, se souvient parfois qu’il faut faire semblant d’être triste… car il faut bien faire le travail. Il aurait pu interpréter n’importe quel autre rôle de la même manière.

De ce fait, l’autorité du cygne d’Albisson se trouve renforcée et elle conduit le ballet de part en part (pour ne pas dire qu’elle le sauve) épaulée de Thomas Docquir dont les qualités physiques sont ici admirablement employées et dont on sent un grand potentiel interprétatif.

Je ne peux m’empêcher encore de m’extasier sur le travail de jambe et de bas de jambe d’Amandine Albisson (ce qu’il y a de plus beau chez elle) qu’elle a su intelligemment mettre au service du sens de l’œuvre. Ses développés à la seconde et ses fouettés arabesque  n’ont plus du tout le même sens. Là encore, il semble qu’elle se soit détachée de l’idée extérieure qu’elle a pu se faire (et comment ne pas s’en construire une ?) de ce que doit être une danseuse. Son Cygne s’accomplit un peu plus en ôtant au geste tout ce qui est inutile.

 

Un jour, en sortant d’un stage, je me suis rendue compte de cela : à un certain moment, le travail ne consiste plus à « gagner » en technique, en performance, en souplesse, en etc. mais à perdre. Perdre tout ce qui est en trop, tout ce qui est superflu, inutile, et qui vient entraver, recouvrir, le mouvement pur.

Il semble que ce soit le chemin qu’ait entrepris Amandine Albisson.

Ces détails qui font l’art

Quelques détails de Don Quichotte

 

Inutile de raconter l’histoire.

Inutile d’ajouter un avis à d’autres souvent mieux renseignés que le mien.

Seulement quelques détails, çà et là, en mosaïque, quelques traces qui pour moi font sens.

J’ai souvent pensé que la technique s’oublie avec le temps, que la technique s’efface derrière les détails, ceux qui font le supplément d’âme. Ces détails sont ceux qui font qu’on se souvient, sans trop savoir pourquoi, de tels danseurs et/ou de telles danseuses… ce sont eux aussi qui rendent certains désagréables, alors qu’en toute objectivité ils sont de bons danseurs.

Les détails que je retiens du Don Quichotte du 3 janvier 18 :

– La ligne nuque-épaule-poignet-index de Myriam Ould-Braham rend tout ce qu’elle fait d’une indicible et spirituelle beauté. Comme le dit Grignotages, c’est assez à contre-emploi, mais c’est si charmant que personne ne résiste. Le cou a son existence propre, isolée, un espace toujours conservé et propre à lui, le coude n’entre pas dans cette ligne, ce qui produit cette élévation particulière à la danseuse ;

– Les coups de tête hispanico-volontaires de Mathias Heymann qui viennent achever… toute la perfection flamboyante du reste. L’énergie personnelle du danseur vient se parachever dans la tête et dessine la forme définitive du personnage de Basilio. La tête (la ruse de Basilio) comme prolongement ultime des pieds ;

– Les ensembles d’hommes sont ce que Noureev savait le mieux faire : à chaque fois, on est ébloui. Les pécheurs qui frappent le sol de la main en sont le point d’orgue.

– Les attitudes de Myriam Ould-Braham dans sa variation de Dulcinée : la hauteur du genou et l’allongement spécial du bas de jambe annonce combien Dulcinée est un idéal.

– Le travail de pied d’Hannah O’Neill dans la danseuse de rue n’a d’égal que l’abandon de son épaule dans les cambrés. Travail de pied très remarquable et qui m’a frappée plus particulièrement que d’habitude. Un travail spécifique ?

– Les menés de Dulcinée et de l’Amour : ondoyant, flottant, voguant, ondulant – bref, on ne sait plus s’il s’agit de brume ou de mer, de nuages rêvés ou de vagues. Sublime(s) pied(s) de derrière qui dirige(nt) l’air de rien le(s) pied(s) de devant.

 

Un autre jour – un jour ingrat – je raconterai les détails que je n’aime pas et qui gâchent tout. Car, j’en suis certaine, ce sont les détails qui font l’art.

Mes bonnes résolutions 2018

C’est le moment, non ?

 

Résolutions de danseuse amateur :

– Toujours bien fermer mes cinquièmes. Le plus proprement possible.

– Poseeer mes talons dans les petits sauts.

– Arrêter de me regarder dans le miroir pour me corriger et plutôt essayer de sentir.

– Oublier mon âge (et tout ce qui va avec : moins de souplesse, moins de puissance musculaire, plus de crispation de cou et des épaules, moins de ligne…), c’est-à-dire renoncer un peu, quand même, il faut bien le dire. Mais renoncer sans tristesse.

– Travailler mon pied gauche qui a changé de forme depuis  qu’il s’est déchiré en plusieurs morceaux à l’intérieur. Le travailler sagement mais régulièrement. Tant qu’à faire, travailler l’autre aussi, tiens.

– Viser la propreté. Toujours. Seulement.

 

 

Résolutions de spectatrice amateur :

– Aller voir François Alu dans n’importe quoi pour ne rien regretter s’il venait à partir un jour de l’opéra.

– Se préparer à ouvrir le champagne si François Alu venait à devenir étoile. Ne pas hésiter à le boire, même.

– Ne pas hésiter non plus à faire un tour ailleurs qu’à Paris… Stuttgart, London, Roma, Milano, bon, Dresden est un peu loin tout de même, sans parler de Saint Petersburg…

– Garder, coûte que coûte, le ballet de l’opéra de Paris dans mon cœur, car c’est « mon premier et mon dernier amour ».

– Aller voir Ludmila Pagliero le plus souvent possible. Et Myriam Ould-Braham aussi, évidemment. Et Dorothée Gilbert. Et Hugo Marchand. Et… d’accord, j’arrête. Et François Alu, donc.

– Si je venais à être déçue, penser aux heures de travail qu’il y a derrière une variation, un spectacle, une saison, une carrière. Ne jamais l’oublier.

 

Et vous ? Vos résolutions ?

 

Bonne année aux amateurs en tout genre ! À savoir, à ceux qui aiment !

On ne compare pas!

Puisqu’il est de tradition (récente, est-ce donc une tradition, de ce fait?) de produire des listes de ce qu’on a aimé dans l’année, je propose le billet suivant.

 

A vrai dire, j’ai longuement hésité entre deux billets : l’un qui refuse les classements, l’autre qui garde et met en relief quelques souvenirs de l’année. Ne pouvant me décider, je ferai un mélange des deux, en disant pourquoi je refuse les classements et en ne gardant qu’un seul souvenir…

 

Je refuse de classer, trier, hiérarchiser, car, bien que certains spectacles laissent en nous des empreintes plus profondes, bien qu’on puisse objectivement dire que tel ballet ou telle interprétation est meilleure qu’un ou qu’une autre, il me semble cependant que s’il existe quelque chose sur terre qui ne se laisse comparer, ce sont les œuvres d’art.

En soi, une œuvre est singularité absolue, ne vaut que par elle-même, se comprend par elle-même (je ne nie en rien qu’il y ait une histoire des arts, mais je nie qu’elle seule offre et épuise la compréhension d’une œuvre, sans quoi les œuvres ne pourraient jamais transcender l’histoire et les cultures comme elles le font). Chaque œuvre est, pour moi, comme un être : toujours absolument singulière et irréductible à quoique ce soit d’autre.

Voilà pourquoi je persiste à penser qu’aucune œuvre ne peut être comparée à aucune autre.

Qu’on le fasse, soit, c’est un fait. Et je conçois que chacun cherche à se souvenir et à réorganiser ses souvenirs. Mais cela reste une entreprise personnelle, qui peut avoir son sens subjectif, qui peut avoir un sens dans le rapport qu’on entretient avec sa mémoire, mais qui ne livre rien des œuvres elles-mêmes.

Voyez pour cela mon calendrier de l’avent, qui n’a que peu de valeur, en dehors de l’économie personnelle de mes souvenirs.

Aucune œuvre ne devrait pouvoir être comparée à aucune autre – de même qu’il faudrait pouvoir ne jamais comparer les individus entre eux. Chacun vaut par lui-même, dès l’instant qu’il est humain.

 

Je garderai tout de même de 2017 La Sylphide de Ludmila Pagliero et le James de Josua Hoffalt.

Josua Hoffalt donna un sens à chacun des gestes qu’il produisit en scène : poser sa main sur la cheminée, se détourner, bouder, s’inquiéter. Chaque saut, chaque pirouette, chaque port de bras signifiant si clairement quelque chose que j’ai pu voir des choses que je n’avais jamais vues dans ce ballet. Son personnage fut pour moi l’un des plus cohérents qu’il m’ait été donné de voir depuis très longtemps.

Ludmila Pagliero – aaaaaah, Ludmila… – quelle Sylphide… un nuage, un voile insaisissable, une fleur, bref, une transformation perpétuelle de ce qu’elle signifia : tantôt ceci, tantôt cela. Protéiforme. Insaisissable. Un art poétique accompli : produire des images, images qui s’enchainent et se fondent les unes dans les autres sans qu’on ne sache jamais comment elles sont devenues autre.

Ce qui m’a le plus frappée dans cette Sylphide fut l’absence de rupture du mouvement, la continuité ininterrompue du mouvement, qui, sans le costume, aurait pu paraître d’un ballet contemporain. Apogée de cette continuité : l’adage du second acte, qui restera longtemps, longtemps, gravé dans ma mémoire : un adage digne des propos de Mallarmé sur la danseuse qui n’est que métaphore, production d’images poétiques.

Merci à Ludmila et à Josua pour cette leçon de poésie.

Et… Guten Rutsch!

Décembre – jour 24!

Mes souvenirs en scène et en vrac :

Je dédie ce billet au garçon, dont j’ai oublié le nom, à qui j’ai

 

  1. arraché la chemise lors du seul vrai pas de deux que j’ai dansé sur scène (Tchaïkovski Pas de deux – dont le professeur avait modifié des trucs bien sûr). Il ne m’en a même pas voulu, c’était un garçon… bien élevé.

 

  1. Angoisser de ne pouvoir remettre mon chausson à temps, entre deux passages dansés, dans Cendrillon – sueurs froides, chaussage frénétique, course folle dans la coulisse, pousser les gens en costumes, bordel de ***, arriver juste à temps avec un visage composé, calme, détendu.

 

  1. Changer de costume à toute vitesse sous l’œil amusé et égrillard des pompiers. Et remettre ça 7 minutes plus tard dans l’autre sens. Puis encore 10 minutes plus tard. Et cetera. (Pénible, un peu)

 

  1. Crise de fou rire alors que je « joue » une reine sérieuse, élégante et noble – fou rire en voyant la tronche de mes sujets, pas tout à fait élégants ni nobles. Gnomes tordus et malhabiles de 10 ans.

 

  1. Perdre l’ongle du gros orteil quelques jours avant mon solo sur pointe… Tout réapprendre à gauche pour éviter d’avoir (trop) mal (technique du professeur). (Mais en fait, une fois que l’ongle est tombé, on n’a plus mal.)

 

  1. Apprendre une semaine avant un spectacle que « finalement, tu vas danser la partie de G. qui ne dansera pas et tu le danseras sur pointes » – Chuchoter que je n’y arriverai jamais et entendre la fatidique phrase : « Mais si tu es en forme en ce moment – je te FAIS CONFIANCE. » Angoisse démultipliée.

 

  1. Croire mourir d’asphyxie à la fin de la variation (doublée en longueur, donc) ne plus savoir où est le public, le fond de scène, le haut, le bas. Essayer de ne pas mourir d’épuisement.

 

  1. 8. Travailler assez longtemps un superbe ballet que nous avait fait notre professeur (ballet intégré à un autre spectacle) sur le Boléro de Ravel. Nous étions très fières de sa chorégraphie vraiment réussie. A la sortie, entendre « C’était bien ce spectacle ! Vraiment chouette ! Sauf le truc sur le Boléro, là, c’était chiiiiiant… »

 

  1. Danser une déesse avec une fourche. Oui, une fourche. Certes, dans l’idée c’était un harpon, mais dans les faits… une fourche, c’est lourd et encombrant.

 

  1. 10. Véridique : avoir une proposition de mariage par un jeune homme très bien, après qu’il m’a vue dans un spectacle lors duquel je dansais beaucoup (celui des pompiers). Mariage ?! (Et ce n’était pas un pompier)

 

  1. Ne plus entrer dans le costume qui m’allait pourtant une semaine avant. Ai-je tant grossi ? Si vite ? Je précise qu’il s’agissait d’un académique « panthère ». Être enceinte et ne pas le savoir…

 

  1. Entendre le professeur du conservatoire dire à mon sujet : « Bon, ben, elle faut la mettre derrière» (il a dit des choses tellement pires à d’autres, que je pourrais presque être flattée.)

 

  1. Entendre le technicien du théâtre juste après mon passage : « Ah ben voilà, ça c’est de la danse» – être en forme pour le passage qui suit.

 

  1. Suivre une semaine de cours avec Patrick Dupond à 28 ans et s’entendre dire (hurler plutôt) « Mais si t’oublies une glissade lors d’une audition, tu te fais jeter tout de suite ! ». Patrick, j’ai 28 ans, je suis prof de philo. Je ne passe aucune audition.

 

  1. Avoir l’immense honneur d’être sur scène avec un vrai beau chouette danseur professionnel, mais me faire éclabousser de toute sa sueur alors qu’il fait les tours à la seconde, version arrosage automatique.

 

  1. Me faire claquer les fesses par un ancien sujet de l’opéra venu donner des cours (rien d’érotique) parce que je fais mal un exercice. Comprendre que je n’aurais jamais pu faire ce métier.

 

  1. Faire la maligne lors d’un stage d’été car le prof dit « Arrêtez avec votre culte de la performance, ce qui compte c’est la beauté, le sentiment, l’art. Faites comme A. ! »

(Je n’ai jamais été trop trop prétentieuse, mais j’étais assez flattée)

(jusqu’à ce que je comprenne que, donc, j’ai une mauvaise technique, ne fais rien qui soit de l’ordre de la performance… bref, heureusement qu’il me reste le sentiment !)

 

  1. Lors d’un autre stage d’été, petit spectacle final. Être très inspirée dans l’adage (compliqué, alambiqué), y mettre beaucoup de sentiment (justement). Me rendre compte à la fin que je l’ai fait à gauche quand tout le monde le faisait à droite. Le professeur (opéra) a soudain nié mon existence. Disparaître de son champ visuel définitivement. (Re-comprendre que je n’aurais jamais pu faire ce métier)

 

  1. Avoir l’idée sublime (mes amies m’en veulent encore) de dire lors de la préparation d’un spectacle : « Nous n’avons qu’à faire les costumes nous-mêmes! » – regrets éternels. (J’ai gardé le truc, je le mets parfois en cours pour rire)

 

  1. Danser un petit pas de deux (excessif de l’appeler ainsi) avec un garçon qui fait ma taille. Sur pointes, être beaucoup plus grande que lui. Deux jours plus tard, il se « décommande », il faut m’en trouver un autre. (Je précise qu’il ne connaissait pas celui de qui j’ai arraché la chemise)

 

  1. Danser avec deux autres filles une très jolie chorégraphie d’un professeur que j’adorais. La première se rompt les croisés. Se retrouver à deux. Tout réaménager. La deuxième déménage en urgence. Me retrouver toute seule. Avec trois chaises.

 

  1. Un classique : sentir le haut du bustier du tutu descendre lentement mais sûrement toujours plus bas vers un sein, voire vers le dessous du sein. Sourire deux fois plus. Ce qui assurément ne change rien à la catastrophe indécente qui s’annonce.

 

  1. Un autre classique : se laisser déborder et emballer par une diagonale de grands sauts, finir dans les coulisses, revenir en courant pour la suite de la variation avec un sourire hilare qui confine au fou rire. (Quelle idée d’avoir des jambes de cheval aussi)

 

  1. Mais la phrase que j’entends aujourd’hui le plus c’est : « Tu es une ANCIENNE pro ? » par des gens qui manifestement n‘ont jamais vu un ballet, sans quoi ils ne demanderaient pas. Ils ajoutent : « Car tu es gracieuse » (ou « souple »). Confirmation de leur inculture dans ce domaine… (Ils ne disent jamais « Car tu as une belle technique », « car tu as une belle qualité de mouvement », « car tu as un travail très propre » – JAMAIS)

 

 

 

Décembre – jour 23 : le Tutu

Le tutu.

Ceux qui ne connaissent pas la danse manifestent grande incompréhension face au tutu. Combien de fois ai-je entendu qu’il s’agissait d’un costume « bizarre », « ridicule », si ce n’est « cucu ». Certes, pour celui qui n’a jamais vu un Lac, ou qui ignore tout de notre Roy, Roi des danseurs, l’intérêt du tutu reste obscur.

Pour moi, le tutu plateau est l’apogée du tutu. Je goûte très peu le tutu romantique (bien que je voue un culte à Giselle et que j’aime infiniment la Sylphide).

C’est que le tutu plateau est pour moi l’essence même de la danse française : il sépare le bas du corps du haut du corps ; ce qui se passe « en bas » n’intéressant en apparence que fort peu ce que se passe « en haut » ; l’esprit prenant son indépendance par rapport au corps. Bien sûr ce corps est son corps, mais, souvenez-vous, « tremble carcasse »… Chez les Français, l’esprit et le haut du corps (buste, bras, tête) ont cette politesse de ne pas relever, ni regarder, ce qui se passe dans le « bas » qui travaille, qui peine et qui, il faut le dire, souffre. Si le dédain de la virtuosité s’entend pour la technique, il semble aussi qu’il s’entende dans les relations qu’entretiennent entre eux corps et esprit. Pendant que les jambes « tricotent », travaillent, le haut du buste (l’esprit) demande « qu’y a-t-il ? S’est-il passé quelque chose ici ? »

Il me semble que le tutu marque physiquement cette distinction en créant deux espaces distincts du corps.

Mais il me semble aussi que le tutu dessine et permette à la danseuse d’avoir son espace personnel : il crée autour d’elle un cercle, un espace, qui sera celui de son action personnelle, de son geste propre, espace dans lequel personne ne peut entrer – espace dans l’espace de la scène. Aussi, quand 32 cygnes s’alignent, aucun n’est tout à fait l’autre, puisque chacun a son espace propre à l’intérieur duquel il peut être le cygne qu’il est.

Voilà pourquoi ce costume n’est en rien ni ridicule, ni seulement accessoire et hasardeux : il est l’histoire de la danse, de son sens, de sa conception du rapport entre le corps et l’esprit.

Décembre – jour 22

Je me suis souvent demander ce que les spectateurs ignorant le vocabulaire de la danse comprenaient en voyant un ballet.

Pour moi qui ai appris ce vocabulaire enfant (vers 10 ans), il me semble que si je ne l’avais appris, je ne comprendrais rien du tout. Tous les pas, mouvements, d’un ballet ont un sens pour moi, je me dis intérieurement « quelle jolie manière de prendre ce pas », « quelle charmante 4ème », « quelles pirouettes » etc. Mais que voit quelqu’un qui ne connaît pas les pas ? Je ne préjuge de rien : j’imagine qu’un tel spectateur y trouve une sorte de plaisir, qui vaut autant que la mienne – mais que voit-il ? J’aimerais parfois pouvoir voir ce qu’il voit et que je ne peux plus voir, que je ne peux plus lire. Quand l’un de mes enfants a su vraiment lire, il (elle) m’a dit « mais qu’est-ce que je voyais quand je ne savais pas lire ? » – autrement dit, quel sens pouvait bien m’apparaître quand je ne voyais pas le sens  que je vois aujourd’hui ? Je me pose la même question – sans douter un instant qu’il y ait un autre sens visible.

Pour cela, pour retrouver ce sens à jamais perdu, je m’astreins à regarder régulièrement (tous les quatre ans environ) un match de football. N’y connaissant rien, je regarde ce que voit – ou doit voire – quelqu’un qui ne connaît rien au vocabulaire de la danse, mais voit quelque chose tout de même. Autant dire que je ne regarde le football que comme un mouvement esthétique.

Décembre – jour 21 – le corps de ballet

Petit hommage personnel au corps de ballet.

Bien sûr, chacun aime ses étoiles, officielles ou personnelles.

Bien sûr, on aime à voir et à parler de l’interprétation d’un tel ou d’une telle.

Bien sûr, on choisit ses distributions et donc ses soirées en fonction d’eux.

 

Mais, ce que le ballet classique a inventé de génial, c’est le corps de ballet. Sa star, son étoile, c’est lui.

Finalement après avoir glosé des heures sur telle danseuse et tel danseur, il faut bien dire  que tout cela (les ballets) ne ferait pas beaucoup d’effet sans le corps de ballet.

Je crois que ce qui (m’) émerveille le plus dans un ballet classique, c’est toujours et surtout le corps de ballet.  Les cygnes, les Willis, les Sylphides, les Ombres, la valse fantastique, les flocons de neige etc. voilà l’étoile. C’est toujours ce qui me fait le plus d’effet dans un ballet : cette unité poétique, cette capacité d’être membre d’un corps tout en étant singulière à la fois, cette manière extraordinaire de produire quelque chose ensemble, sans toutefois donner l’impression d’une masse inerte, compacte. Savoir être individuel et collectif (ah, que je hais ce mot, on dirait du foot). Savoir être soi-même dans un Tout.

La lamentation des cygnes, à l’acte IV du Lac, ces pas de cheval démultipliés, ces canons et ces échos de nuques accablées, sont ce je préfère du ballet – avec, dans la version de Noureev, les pas d’ensemble des hommes de l’acte 1.

L’effrayante troupe des Willis arrachant Giselle à sa tombe et mettant à mort Hilarion et Albrecht sont d’un effet intemporel – alors qu’une mauvaise Giselle peut briser tout le sens du ballet.

La descente des ombres, faisceau d’une femme, démultipliée en autant de doubles pourtant singuliers. Cette descente des ombres est fascination tant pour Solor que pour le spectateur.

J’ai déjà parlé de la valse fantastique.

 

Bref, mon étoile à moi, c’est le corps de ballet.

Je leur – lui – déclare ici toute mon admiration la plus sincère.